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jeudi 22 mars 2007

Première conférence de Carême 2007: Le regard des hommes et le regard de Dieu

Le thème du Carême, pour Benoît XVI reprend une parole de l'évangile de Jean (19, 37). Jésus est sur la croix, mort, et le narrateur montre comment s'accomplissent les prophéties sur le Messie. Ils le regarderont brisé par la mort, la douleur, la haine, mais plein de la puissance de la miséricorde.


Aujourd'hui, c'est par le regard des hommes que nous commencerons cette réflexion.

1. "Dernièrement, qu'est-ce que vous avez regardé ?". Question fréquente à laquelle nous serons portés à répondre par un titre de film ou le nom d'un programme de télévision. Mais c'est une réponse d'adulte, et certainement une réponse superficielle. Pensez-y un peu. Vous avez certainement regardé autre chose, hier ou aujourd'hui. Quel a été votre premier regard ce matin ? Celui de votre conjoint, ou, peut-être, celui que vous a reflété le miroir. Un regard fatigué qui s'apprêtait à se transformer, à s'améliorer. Logiquement, à la toute première heure de la journée, au retour des songes, il faut revenir à la réalité, et c'est notre entourage qui nous y aide. Ce n'est pas une image, ou une série d'images qui nous reconditionne, mais notre retour à la réalité, qui nous interpelle. Regarder, de cette manière signifie revenir au vrai.

Cela est remarquable dans le cas des personnes qui ont besoin d'une bonne vue pour travailler: le pilote, le chauffeur, le photographe ont besoin de leurs yeux pour appréhender le vrai... Et malheur à celui qui appréhende autre chose que le vrai, il sera ou dément, ou malade, ou menteur. Regarder, c'est accueillir le vrai, ou s'y confronter.

2. Regarder est une expérience universelle. Les enfants s'y adonnent avant même de commencer à parler. D'ailleurs, pour eux c'est déjà un langage. Regarder N'est certainement pas une recherche de la vérité philosophique, mais tous les enfants reconnaissent d'un coup d'œil une bonté authentique. Après avoir vu leur maman, ils la nomment et la reconnaissent...

3. Les animaux, cependant, pour intelligents ou sympathiques, ne regardent pas comme les enfants. On les apprécie, on les aime; ils peuvent combler nos besoins d'affection, nous faire de la compagnie, mais ils ne voient pas le monde comme nous, car ils ne font que l'utiliser, ils n'en sont pas maitres, même quand ils sont féroces, car ils ne le connaissent pas vraiment. Pour eux le monde n'est que ce à quoi il leur sert, et rien de plus. Pas de haine réelle, pas d'amour non plus. Les animaux connaissent certains aspects du réel, mais pas sa vérité. Car ils sont incapables d'en saisir tout la réalité. Ils sont confrontés au monde, sans en connaitre toute la réalité. Ce que les enfants arrivent assez tôt à faire dans leur développement personnel.

4. En d’autres occasions, regarder c’est apprécier. Apprécier la gentillesse d’un passant, lire les sentiments dans les yeux de la personne aimée, dire merci, rendre quelque chose qui nous a été donné gratuitement. Ce regard est habituellement le commencement ou l’aboutissement d’une intimité habituellement saine, mais quelques fois feinte. On peut quelques fois se laisser prendre par le regard de l’hypocrite, mais une personne suffisamment expérimentée dans les relations humaines s’y laisse difficilement prendre. Le regard franc et sincère ne trompe jamais.

5. Bien que regarder soit une nécessité biologique pour communiquer au niveau le plus élémentaire, (les animaux regardent à leur manière; les enfants regardent avent de parler) regarder a toute sa grandeur quand il nous permet de partager des univers : avec des amis, des maîtres, des collègues. Regarder exprime l’humanité d’une personne, même s’il regarde ce qui est prohibé (convoitise) ou ce qui est dangereux (le soleil). Regarder est souvent une preuve d’intelligence ou d’intérêt. L’homme de science doit regarder, l’ami se doit d’observer.

6. En somme, n’est pleinement humain que celui qui regarde attentivement.

7. Mais Dieu nous regarde aussi. Au moment de la création, il « vit » que cela était bon. Il a regardé Adam au Paradis, après la faute originelle, et Jésus, du haut de la croix, n’a-t-il pas prononcé cette prière pour ceux qu’il voyait pour la dernière fois : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font » (Lc, 23, 34).

8. Jésus, qui était homme, regardait comme nous. Dans les premiers jours de sa vie, son regard a croisé celui de Marie et de Joseph. Il les a aimés, même avant de les voir, comme quoi son regard devait déjà être chargé d’amour. Plus tard, il a vu le disciple qui l’aimait. Il lui demande : « Seigneur, où demeures-tu? » Réponse : « Venez et voyez » (Jn 1, 40). Et l’évangéliste commente qu’ils ont passé le reste de la journée avec lui. Jésus regarde le jeune riche et lui souhaite ce qu’il y a de mieux : « un trésor sur la terre » (Mat 19, 21).

9. Jésus regarde aussi les pécheurs, qu’il est venu sauver. Mais il refuse de regarder les hypocrites. Quand la femme surprise en flagrant délit d’adultère et présentée à Jésus, pour l’embêter (on n’a que faire de cette pauvre femme), Jésus les regarde durement, les condamne, et détourne son regard d’eux. Il écrit sur le sable, pendant que les lâches retournent piteusement d’où ils viennent (Jn, 8, 9-9). Saint Jean continue en disant « S’étant relevé, ne voyant personne que la femme… ». Elle, la pécheresse, Jésus la regarde. Il lui donne tout son temps. Elle, embarrassée, regrette sa faute. Lui, il lui pardonne par ces mots : « Personne ne t’as condamnée… ? –Personne Seigneur. Moi non plus, je ne te condamne pas. Va désormais, et ne pêche plus ». Voilà dit, d’une façon magistrale comment Jésus nous aime, malgré nos défauts, quand nous avons le cœur contrit. Un regard semblable fut porté à un autre pécheur dans une autre page de l’Évangile : Pierre venait de renier son maître trois fois. Rien apparemment ne se produisit, mais traversant la cour, Pierre croisa le regard de Jésus, qui « se tourna et le regarda » (Lc 22, 61). Ce regard particulier remit Pierre en contact avec la réalité, et il en pleura.

10. Que dire ensuite du regard de Jésus ressuscité ? « Le soir de la résurrection, toutes portes étant closes », Jésus visite ses apôtres. En lui, aucune haine, aucun dépit. Se mots sont des mots d’accueil, de miséricorde. »La paix soit avec vous » (Jn 20, 21). Il pardonne. Voilà le regard du Dieu fait homme ressuscité des morts. Un regard de pardon.

11. Jésus, comment te regardons-nous ? Somme-nous comme des animaux, ou des consommateurs, qui regardent ce qui leur est utile ? Sommes –nous comme des travailleurs qui recherchent l’utilité dans tout ce qu’ils voient, et qui, n’en trouvant pas en toi, t’oublient rapidement jusqu’à la prochaine nécessité ? Est-il possible que je te regarde comme ces pharisiens qui voulaient te nuire en condamnant sans raison une pauvre femme adultère? Ou est-ce que je te vois comme ces accusateurs, près de Pilate, et qui, le cœur endurci crient : « Crucifie-le ». Ou encore suis-je un autre Pierre qui fuit ton regard pour ne pas te défendre publiquement ? Ai-je oublié que tu es venu me donner la paix?

12. Regarder est propre à l’homme… et propre à Dieu. C’est sans doute lorsqu’il commence à regarder son Dieu que l’homme devient plus humain. Et qu’il pourra mieux comprendre les besoins des siens, mieux les regarder. Le secret du regard est la contemplation : deux amoureux se contemplent; un enfant contemple sa mère, et sa mère le contemple; deux vieux époux, en se regardant, contemplent leur vie. Seigneur, que puis-je apprendre en contemplant tes souffrances?

13. Ce que les époux ont contemplé dans le visage de l’autre : l’amour. Ton côté transpercé nous rappelle que tu as souffert pour nous libérer; que tu as redéfini le sens de la souffrance en l’assumant dans ton amour infini. Et ton visage de ressuscité, transfiguré par ton amour me rappelle combien tu m’as aimé. Seigneur apprend moi à te regarder, apprends-moi à te contempler. Apprends-moi à découvrir l’amour qui te meut dans la paix.

14. Ton regard m’apprendra à voir les autres avec patience, miséricorde, intérêt et zèle. Tu m’apprendras à aimer. Et à pardonner.

N'oublie pas, mon ami, que nous sommes des enfants. Marie, la Dame au doux nom, est en prière.

Toi, tu es dans cette maison tout ce que tu voudras: un ami, un serviteur, un curieux, un voisin... — Quant à moi, je n'ose pas être quoi que ce soit en ce moment. Caché derrière toi, je contemple la scène, ébloui:

L'Archange transmet son message... Quomodo fiet istud, quoniam virum non cognosco ? — Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais point d'homme ? (Lc 1, 34).

La voix de notre Mère ramène à ma mémoire, par contraste, toutes les impuretés des hommes..., les miennes aussi:

Et combien je hais alors les misérables bassesses de la terre!... Quelles résolutions!

(Tiré de Saint Josémaria Escriva, Saint Rosaire, 1ère dizaines, mystères joyeux)

A peine Jésus s'est-Il relevé de sa première chute qu'Il rencontre sa Très Sainte Mère, au bord du chemin où Il passe.

Avec un amour immense, Marie regarde Jésus et Jésus regarde sa Mère; leurs regards se croisent, et chaque coeur déverse sa propre douleur dans le coeur de l'autre. L'âme de Marie est plongée dans l'amertume, dans l'amertume de Jésus-Christ.

O vous, qui passez par le chemin, considérez et voyez s'il est douleur pareille à ma douleur! (Lm 1, 12).

Mais personne ne se rend compte de rien; personne ne fait attention; personne, sauf Jésus.

(Tiré de Saint Josémaria Escriva, Chemin de Croix, 4e station)